jeudi 6 novembre 2014

Le Terrier ou Lorsque la dépression nous frappe



Le lieu où je me trouve est glacial, trempé et terreux. J’en tâtonne les bords, essayant d’en découvrir la sortie malgré les nombreux tunnels qui composent l’endroit où je me suis glissé il y a quelques heures. Perdue, en pleine noirceur, j’écoute ma respiration se percuter et mourir contre les parois de ce qui est devenu ma prison. Je m’y étais glissé pour échapper à un loup qui me courrait après, dans les bois, mais maintenant j’y suis enfermée et c’est en suffoquant que je rampe dans ce trou étroit à la recherche d’une petite caverne, voire une grotte miniature, où je pourrais me rouler en boule afin de faire demi-tour et regagner la surface de la Terre. Cependant, il me faut rester prudente, car il serait malaisé de tomber nez à nez avec un quelconque animal sauvage. J’ignore totalement ce qui pourrait vivre ici, et c’est en tremblant que je me glisse dans les profondeurs de la terre pour échapper à une mort certaine. Car je ne peux pas revenir en arrière, puisqu’il m’est malaisé de ramper à reculons. Je me borne donc à explorer ce trou, salissant un peu plus à chaque mouvement mes vêtements et me coupant sur les bords pointus de ce qui pourrait être des roches mêlées à la terre, ou bien des racines limées par les dents de rongeurs.

La nausée me monte au bord des lèvres et chacune de mes respirations devient de plus en plus difficile. Je n’ai jamais été claustrophobe, mais ça fait maintenant quelques heures que je suis enfermée au sein de la terre et j’aspire plus que tout à la lumière et à la sécurité de mon appartement. J’ai l’impression d’entendre une voix, peut-être même deux, me disant que jamais je ne sortirai de ce lieu. Des petites lumières dansent devant mes yeux maintenant fatigués par la noirceur. Je me souviens alors du briquet glissé dans ma poche et qui avait servi à allumer la dernière cigarette que j’ai fumée, mais j’hésite à l’allumer, me souvenant que le feu consomme l’oxygène dont j’ai tant besoin dans ce lieu peu hospitalier.

Je tremble de tous mes membres, me maudissant de ne pas avoir mis quelques vêtements chauds avant de partir marcher dans cette forêt qui deviendra peut-être le dernier lieu où ma vie m’aura appartenue. Je rampe à nouveau et sens quelque chose de pointu pénétrer ma chair et en faire sortir le peu de chaleur qui me restait et qui s’écoule maintenant à travers ma plaie. Il faut vite que je sorte, avant d’y rester. Je ne peux pas y rester! J’ai trop de choses à vivre encore, pour mourir dans ce lieu qui a du voir tant de naissances.

J’avance encore un peu et me cogne contre quelque chose qui me barre la route, une racine probablement. Je la tâtonne, la secoue, mais il m’est impossible de la casser ou de l’arracher. Je devrai reculer et aller prendre une autre branche de ce tunnel où j’avançais, aveugle. Reculer, ça veut dire ne plus avancer. Cette vérité m’arrache une larme de mécontentement. Il faut toujours avancer pour rester en vie, ceux qui reculent devant l’adversité se soumettent le plus souvent, devant l’autorité. Je n’ai pas envie de me soumettre à la mort qui avance vers moi alors que je recule. Malgré tout, mourir dans la maison d’un autre est presque plus tentant que de mourir chez moi.

Voilà que mes pensées régressent et que je recule avec elles. Mon pied appui contre le mur de ma geôle, pourquoi n’y aie-je pas pensé plus tôt? Alors que je cherchais une grotte, il me suffisait d’utiliser l’un des tunnels pour me retourner et rebrousser chemin! Mais, une fois tournée face à la sortie, ou du moins à ce qui peut être la sortie, comment m’orienter? J’ai pris tant de détours, tant de chemins, pour arriver au fin fond de la terre mère. Je m’y sens presque maintenant comme chez moi. Il y a tant d’heures que je n’ai pas vu le soleil et que je n’ai pas respiré l’air pur de l’extérieur. J’ai l’impression que, dans le giron maternel de la terre, je reviens à l’époque où mes yeux n’avaient pas encore été pénétrés par la lumière du soleil. Ce lieu où je n’avais pas besoin de vivre par moi-même et où je pouvais rêver sans pourtant avoir reçu une quelconque information permettant à mon cerveau de créer des rêves.

Une lumière me parvient, mais je n’ai pas envie de l’atteindre, me voici dans mon nouveau chez moi, je n’ai pas envie de retrouver l’ancien et de retrouver les responsabilités que m’imposent la vie. Ici, écrasée par la terre protectrice et nourricière, je peux me reposer et m’engourdir de rêves et de pensées. L’humidité me permet de ne pas avoir besoin de chercher de l’eau, je n’ai qu’à aspirer à travers le filtre de la terre pour y recueillir ce liquide. Et si j’ai faim, ronger une racine me permet de me sustenter. C’est là ma vraie maison, dans ce trou sombre.

Je n’ai présentement plus froid. Je n’ai ni avancé, ni reculé. Je vois toujours la lumière extérieure, mais j’ai trop peur d’être à nouveau aveuglée par elle comme au jour de ma première naissance. Je refuse de quitter le refuge que m’offre la terre. On m’a déjà extirpé du giron maternel, je refuse de m’en arracher une seconde fois. C’est là ma maison et c’est là que je mourrai.

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