First
person shooter
0%
J’insère
le disque compact dans mon ordinateur et lance le téléchargement.
50%
La
tête appuyée sur la main, j’observe depuis bientôt cinq minutes la barre de
téléchargement. Celle-ci m’indique le nombre de pourcentage qu’il reste avant
que je puisse jouer à Call of duty,
un jeu que mon frère m’a donné pour mon anniversaire.
100%
Je
presse, avec ma souris, le bouton « Start ». On me demande de d’abord
créer un compte.
Nom d’utilisateur : Logarythme
Mot
de passe : *******
Début du jeu
Le
jeu m’indique ensuite que je dois choisir un personnage. J’ai le choix entre un
grand brun barbu et plein de cicatrices, un autre homme aux allures militaires
et à la coupe carrée, une blonde aux gros seins, un jeune asiatique, un sergent
noir et une brunette plutôt normale. Je choisie cette dernière, n’ayant jamais
été fan des stéréotypes présentés dans les jeux vidéos. J’ai ensuite le choix
du style de jeu que je veux jouer : Mission solo, mission coopérative, PvP
(Player versus Player). C’est vers la dernière option que je me tourne. Je me
retrouve dans ce qu’on appelle une salle d’attente, dans le langage
« gamer ». Mais il s’agit plutôt d’une liste que d’une salle, puisque
la seule chose que nous voyons est nos noms et les noms des autres joueurs.
Début de la partie
Le
jeu m’inclue dans la partie un peu avant que celle-ci ne débute. Les autres
joueurs me demandent de participer à la conversation, en activant mon
micro-casque, durant celle-ci. Je refuse, prétextant une grippe d’homme.
Personne n’insiste et je peux jouer en paix.
On
nous laisse disposer de soixante minutes pour tuer nos adversaires, temps
généralement long pour un jeu comme celui-ci, mais nous sommes quatre-vingt sur
une carte d’environ vingt kilomètres carrés. Nous avons toutes sortes de
cachettes et nous pouvons utiliser des voitures, camions ou autre véhicules
motorisés pour se rapprocher les uns des autres. Certains ont même accès à des
hélicoptères.
Toujours
est-il que, lorsque la partie débute, je vérifie les armes qu’on a aléatoirement
placé dans mon inventaire – un poignard, un sniper
et un handgun. Je suis un peu
mécontente de ne pas avoir de mitraillette parmi mon équipement, mais je
sélectionne mon sniper et me dirige
vers un bâtiment qui me permet d’être en haute altitude tout en évitant de me
faire repérer facilement. Mon choix se porte vers une petite tour à bureaux qui
comporte une passerelle raccordée à un autre édifice vers lequel je peux me
diriger en cas d’attaque surprise.
Je
me glisse furtivement entre les portes défoncées de la tour et monte les
marches jusqu’à trouver un endroit stratégique et me positionne, l’œil dans le
viseur de mon fusil, à la recherche des joueurs ennemis. Non seulement je
regarde au sol, mais également dans les autres bâtisses, guettant le moindre
reflet du soleil sur une arme un peu trop luisante ou sur la lunette d’un
viseur adverse.
Tout
en jouant, j’apprécie l’effet réaliste qui permet de s’intégrer plus facilement
dans le jeu, j’étouffe un soupir de satisfaction et me concentre pour ne pas me
faire surprendre.
Dans
mon casque d’écoute, une explosion se fait entendre, puis mon écran annonce que
nous ne sommes plus que soixante-dix-neuf. J’esquisse un sourire en me disant
« un de moins ». Je déteste les débuts de parties dans ce genre de jeu,
j’ignore toujours où se cachent les autres joueurs et n’importe qui peut me
surprendre et m’éliminer.
Une
ombre en déplacement attire mon regard, je me concentre et pointe mon arme sur
le joueur qui se croit en sécurité alors qu’il rampe entre les camions. Une
grande inspiration, un son de détonation, puis un chiffre qui apparait dans
l’écran, soixante-dix-huit. Ce joueur n’est que le premier de la longue liste
de victimes qui s’ensuit. Alors que le nombre de joueurs sur la carte baisse
drastiquement en peu de temps, le nombre de mes victimes, lui, augmente
exponentiellement.
Dans
mes oreilles, ça commence à sacrer et à injurier. On m’appelle par mon nom de gamer, Logarythme, histoire de montrer que c’est moi qu’on vise, et on m’accuse
de tricher tout en me criant des insultes. Fronçant les sourcils, j’active mon
micro pour répondre qu’ils peuvent aller jouer ailleurs s’ils prennent si mal
de se faire tuer dans un jeu où le but est de se débarrasser les uns des autres.
Un silence malaisé se fait entendre, ils ne s’étaient pas aperçu qu’ils
jouaient avec une fille, sinon ils n’auraient jamais accepté que je rejoigne la
partie. Les first person shooter,
c’est une affaire d’homme selon eux et une fille devrait se trouver à la
cuisine à faire un sandwich plutôt qu’être assise devant un écran à gamer. Je leur réponds que je ne suis
pas d’accord, qu’il ne s’agit pas d’une affaire de sexe, mais d’une question de
skills, et qu’ils se montrent plus
incompétent qu’autre chose à m’insulter plutôt qu’à se concentrer sur leur jeu.
***
20:00
L’horloge
en haut à droite de mon écran me dit qu’il ne reste sur vingt minutes de jeux,
nous ne sommes plus que dix joueurs dont l’avatar est toujours en vie. Ils ont
eu beau tenter de m’éliminer, ou même de m’intimider verbalement, je suis
toujours de la partie. Ce n’est pas la première fois que je me fais agresser de
la sorte par des joueurs masculins, mais comme j’aime trop jouer pour
m’empêcher de le faire parce que ça ne fais pas plaisir à certains hommes. Je
m’efforce donc, en général, de les ignorer. Ce qui fonctionne habituellement
bien, jusqu’à ce qu’ils mettent à m’insulter, que je perde mon sang froid et
que je leur réponde. S’ensuit en général une longue discussion sur le droit de
la femme à jouer ou non à des jeux vidéos.
Être
une femme et aimer jouer n’est pas toujours drôle, on a souvent à faire à des
cas comme ceux-ci. Sans dire que j’ai fini par m’y habituer, j’ai tendance à ne
plus réagir instantanément aux commentaires négatifs que les hommes profèrent
lorsqu’ils découvrent qu’ils ne jouent pas qu’entre eux.
5 :00
Le
nombre de joueurs encore présents dans l’ère de jeu, en quinze minutes, est
passé de dix à trois. J’ai réussi à obtenir, entre-temps, un radar. Je peux
voir leurs déplacements lorsqu’ils sont près de moi. Pour le moment je ne vois
personne, ce qui veut dire qu’ils sont loin, je vais devoir me rapprocher
d’eux.
Dans
mes écouteurs, un sifflement se fait entendre, puis une explosion et mon écran
devient noir. Une bombe. Ils m’ont lancé une foutue bombe. Fin de la partie
pour moi. Nouvelle vague d’insultes « Retourne dans ta cuisine, t’es pas
assez bonne pour gagner » « Ouais, va me faire un sandwich »
« Vous êtes bonnes qu’à vous plaindre et à faire le ménage, un jeu de
guerre c’est pas fait pour vous ». Ce n’est pas que ça me dérange, mais ça
me dérange. Je rage quit et ferme mon
ordinateur. Un vide profond se loge dans ma poitrine, je me dirige vers mon lit
et en martèle les oreillers.
Pourquoi
doivent-ils être aussi cons? Une fille, ça peut gamer.