mardi 17 mars 2015

FPS ou, récit fictif et imaginé d'une fille qui n'a jamais subit de game-sexisme mais qui en a entendu beaucoup parler.



First person shooter
0%
J’insère le disque compact dans mon ordinateur et lance le téléchargement.
50%
La tête appuyée sur la main, j’observe depuis bientôt cinq minutes la barre de téléchargement. Celle-ci m’indique le nombre de pourcentage qu’il reste avant que je puisse jouer à Call of duty, un jeu que mon frère m’a donné pour mon anniversaire.
100%
Je presse, avec ma souris, le bouton « Start ». On me demande de d’abord créer un compte.
Nom d’utilisateur : Logarythme
Mot de passe : *******
Début du jeu
Le jeu m’indique ensuite que je dois choisir un personnage. J’ai le choix entre un grand brun barbu et plein de cicatrices, un autre homme aux allures militaires et à la coupe carrée, une blonde aux gros seins, un jeune asiatique, un sergent noir et une brunette plutôt normale. Je choisie cette dernière, n’ayant jamais été fan des stéréotypes présentés dans les jeux vidéos. J’ai ensuite le choix du style de jeu que je veux jouer : Mission solo, mission coopérative, PvP (Player versus Player). C’est vers la dernière option que je me tourne. Je me retrouve dans ce qu’on appelle une salle d’attente, dans le langage « gamer ». Mais il s’agit plutôt d’une liste que d’une salle, puisque la seule chose que nous voyons est nos noms et les noms des autres joueurs.
Début de la partie
Le jeu m’inclue dans la partie un peu avant que celle-ci ne débute. Les autres joueurs me demandent de participer à la conversation, en activant mon micro-casque, durant celle-ci. Je refuse, prétextant une grippe d’homme. Personne n’insiste et je peux jouer en paix.

On nous laisse disposer de soixante minutes pour tuer nos adversaires, temps généralement long pour un jeu comme celui-ci, mais nous sommes quatre-vingt sur une carte d’environ vingt kilomètres carrés. Nous avons toutes sortes de cachettes et nous pouvons utiliser des voitures, camions ou autre véhicules motorisés pour se rapprocher les uns des autres. Certains ont même accès à des hélicoptères.

Toujours est-il que, lorsque la partie débute, je vérifie les armes qu’on a aléatoirement placé dans mon inventaire – un poignard, un sniper et un handgun. Je suis un peu mécontente de ne pas avoir de mitraillette parmi mon équipement, mais je sélectionne mon sniper et me dirige vers un bâtiment qui me permet d’être en haute altitude tout en évitant de me faire repérer facilement. Mon choix se porte vers une petite tour à bureaux qui comporte une passerelle raccordée à un autre édifice vers lequel je peux me diriger en cas d’attaque surprise.

Je me glisse furtivement entre les portes défoncées de la tour et monte les marches jusqu’à trouver un endroit stratégique et me positionne, l’œil dans le viseur de mon fusil, à la recherche des joueurs ennemis. Non seulement je regarde au sol, mais également dans les autres bâtisses, guettant le moindre reflet du soleil sur une arme un peu trop luisante ou sur la lunette d’un viseur adverse.
Tout en jouant, j’apprécie l’effet réaliste qui permet de s’intégrer plus facilement dans le jeu, j’étouffe un soupir de satisfaction et me concentre pour ne pas me faire surprendre.

Dans mon casque d’écoute, une explosion se fait entendre, puis mon écran annonce que nous ne sommes plus que soixante-dix-neuf. J’esquisse un sourire en me disant « un de moins ». Je déteste les débuts de parties dans ce genre de jeu, j’ignore toujours où se cachent les autres joueurs et n’importe qui peut me surprendre et m’éliminer.

Une ombre en déplacement attire mon regard, je me concentre et pointe mon arme sur le joueur qui se croit en sécurité alors qu’il rampe entre les camions. Une grande inspiration, un son de détonation, puis un chiffre qui apparait dans l’écran, soixante-dix-huit. Ce joueur n’est que le premier de la longue liste de victimes qui s’ensuit. Alors que le nombre de joueurs sur la carte baisse drastiquement en peu de temps, le nombre de mes victimes, lui, augmente exponentiellement.

Dans mes oreilles, ça commence à sacrer et à injurier. On m’appelle par mon nom de gamer, Logarythme, histoire de montrer que c’est moi qu’on vise, et on m’accuse de tricher tout en me criant des insultes. Fronçant les sourcils, j’active mon micro pour répondre qu’ils peuvent aller jouer ailleurs s’ils prennent si mal de se faire tuer dans un jeu où le but est de se débarrasser les uns des autres. Un silence malaisé se fait entendre, ils ne s’étaient pas aperçu qu’ils jouaient avec une fille, sinon ils n’auraient jamais accepté que je rejoigne la partie. Les first person shooter, c’est une affaire d’homme selon eux et une fille devrait se trouver à la cuisine à faire un sandwich plutôt qu’être assise devant un écran à gamer. Je leur réponds que je ne suis pas d’accord, qu’il ne s’agit pas d’une affaire de sexe, mais d’une question de skills, et qu’ils se montrent plus incompétent qu’autre chose à m’insulter plutôt qu’à se concentrer sur leur jeu.

***
20:00
L’horloge en haut à droite de mon écran me dit qu’il ne reste sur vingt minutes de jeux, nous ne sommes plus que dix joueurs dont l’avatar est toujours en vie. Ils ont eu beau tenter de m’éliminer, ou même de m’intimider verbalement, je suis toujours de la partie. Ce n’est pas la première fois que je me fais agresser de la sorte par des joueurs masculins, mais comme j’aime trop jouer pour m’empêcher de le faire parce que ça ne fais pas plaisir à certains hommes. Je m’efforce donc, en général, de les ignorer. Ce qui fonctionne habituellement bien, jusqu’à ce qu’ils mettent à m’insulter, que je perde mon sang froid et que je leur réponde. S’ensuit en général une longue discussion sur le droit de la femme à jouer ou non à des jeux vidéos.

Être une femme et aimer jouer n’est pas toujours drôle, on a souvent à faire à des cas comme ceux-ci. Sans dire que j’ai fini par m’y habituer, j’ai tendance à ne plus réagir instantanément aux commentaires négatifs que les hommes profèrent lorsqu’ils découvrent qu’ils ne jouent pas qu’entre eux.

5 :00
Le nombre de joueurs encore présents dans l’ère de jeu, en quinze minutes, est passé de dix à trois. J’ai réussi à obtenir, entre-temps, un radar. Je peux voir leurs déplacements lorsqu’ils sont près de moi. Pour le moment je ne vois personne, ce qui veut dire qu’ils sont loin, je vais devoir me rapprocher d’eux.
Dans mes écouteurs, un sifflement se fait entendre, puis une explosion et mon écran devient noir. Une bombe. Ils m’ont lancé une foutue bombe. Fin de la partie pour moi. Nouvelle vague d’insultes « Retourne dans ta cuisine, t’es pas assez bonne pour gagner » « Ouais, va me faire un sandwich » « Vous êtes bonnes qu’à vous plaindre et à faire le ménage, un jeu de guerre c’est pas fait pour vous ». Ce n’est pas que ça me dérange, mais ça me dérange. Je rage quit et ferme mon ordinateur. Un vide profond se loge dans ma poitrine, je me dirige vers mon lit et en martèle les oreillers.
Pourquoi doivent-ils être aussi cons? Une fille, ça peut gamer.

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